Mixité, une leçon du terrain

Nous avons rencontré Odile Launay, première femme pontier chez ArcelorMittal au Luxembourg, et unique ouvrière de production à Belval. Elle nous livre ses réflexions sur les enjeux gravitant autour de la mixité : précarité de l’emploi, égalité des chances et de traitement, féminisation et performance, éducation.

Vous voilà une des sept femmes que compte la production de Belval, parmi 899 hommes. Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce métier ? Quelle est votre formation ?

Aussi étrange soit-il, je suis diplômée d’un baccalauréat professionnel en secrétariat.
Confrontée à l’époque aux faibles débouchés de cette branche, je me suis dirigée vers l’univers industriel. Au départ par défaut, ce choix s’est avéré être une révélation. Pendant plus de 15 ans, j’étais cariste et je possède désormais les certificats d’aptitude à la conduite catégories 1, 2, 3, 4 et 5. J’ai manipulé divers chariots élévateurs au sein de grandes entreprises tels que PSA, SETH forges ou Manuloc (entreprise française des solutions de manutention). En 2008, j’ai passé mon permis ponts et commencé à travailler chez ArcelorMittal Florange en tant que pontier et cariste pour la Société Florange logistique du groupe Manuloc.

Après la naissance de mon fils et mon départ de Manuloc en 2012, j’ai réfléchi sur mes perspectives professionnelles.

Je me suis dit qu’un métier plus « conventionnel », avec des horaires de bureaux moins exigeants conviendrait davantage à ma vie de famille. J’ai alors commencé un BTS pour devenir assistante de gestion. J’ai réalisé que je n’étais plus en phase avec cet univers administratif et purement féminin. Mon infidélité à l’industrie n’a finalement pas été longue ! J’ai intégré en 2014 ArcelorMittal Gandrange en intérim, puis me suis fixée début 2016 un objectif : intégrer les rangs d’ArcelorMittal Luxembourg. Suite à cela, j’ai passé mon permis pont au sol, dernière corde qui manquait à mon arc.
Fin 2016, j’ai débuté en intérim chez ArcelorMittal Luxembourg, puis évolué en CDI en avril 2018 au TMB (Train Moyen de Belval, halle 8, se trouvant entre la sortie de la coulée continue et le four de réchauffage).

Avez-vous été bien accueillie par votre équipe ?

Oui, j’ai été très bien accueillie. La direction a mis un vestiaire et tout ce qu’il faut à ma disposition. L’encadrement est également prévenant, ça fait plaisir d’être davantage qu’un numéro dans un grand groupe !

Quelles sont les qualités d’un « bon » pontier ?

L’activité du pontier est particulièrement délicate puisque qu’elle implique la manutention de produits lourds.
Pour les novices, le pont vise à déplacer les produits grâce à un palonnier muni d’un accessoire de levage (crochet, chaînes, élingues, etc.) déterminé en fonction de la charge à transporter ; ce sont ici des aimants. Cet organe est motorisé, et suspendu à un système de câbles et de poulies pour être monté ou descendu sur plusieurs mètres. Le respect des règles de sécurité est donc clé. De plus, il faut avoir de la rigueur et de la dextérité à tout instant.

Le fait d’être une des rares femmes à travailler dans cet environnement masculin nécessite-t-il d’avoir des qualités particulières ?

Pas particulièrement, la seule qualité à avoir est la rigueur et la dextérité comme expliqué précédemment. Bon, peut-être est-ce une qualité davantage observée chez les femmes en général, sans vouloir me mettre mes collègues à dos ! Ceci dit, j’ai un atout non négligeable : j’aime mon métier, c’est une seconde passion. La première étant bien sûr mon fils !

Sinon, le trait de caractère à avoir est certainement la communication directe, franche et sans détour.
Lors de l’arrêt pour entretien et nettoyage des installations, je fais mon travail au même titre que mes collègues. Les hommes me traitent comme leur égale, même s’ils m’épargnent certaines tâches éprouvantes.

Mais quand je manipule le pont au sol de l’hydrocyclone (décanteur qui récolte la calamine, couche d’oxyde de fer qui se forme à la surface des produits lorsqu’ils sont en contact avec l’oxygène à la coulée continue) et que les rigoles d’écoulement des bacs de décantation sont bouchées, je n’hésite pas à donner des coups de pelle !

Que pourrait apporter la féminisation du terrain ?

Je pense que les traits de personnalités sont primordiaux, plus que la féminisation du terrain.

Alors quelles pourraient être les pistes pour attirer encore plus de talents dans vos rangs ?

Personnellement, j’ai été conquise par le milieu industriel en visitant les usines et en découvrant le terrain. Peut-être qu’au lycée, les élèves devraient être plus sensibilisés à ce type de filières lors de l’orientation, qui ne semblent pas aussi attractives que les autres afin que les choix ne soient plus autant influencés par le genre mais par le caractère.